Cher Noam

(Ou considérations linguistiques d'un romaniste qui n'en a cure de la grammaire mais qui trouve ça marrant d'en parler.)

Cher Noam,
A l'heure où on ne peut plus être sûr de rien, où l'on voit que les structures que la renommée a rendues solides s'effondrent les unes après les autres comme des châteaux de cartes soufflés par le vent de la panique boursière, je pensais avoir trouvé une valeur refuge. Je pensais posséder la formule qui me permettrait d'élever mon savoir, de faire fructifier mon avoir sur des terres gorgées de désespoir. Je pensais pouvoir gérer confortablement ma modeste mise pendant que les plus grands joueurs du poker financier se bluffent entre=eux à grands coups de jokers restructurés ou de gambits étatiques pour sauver leur tête en mettant des bâtons supplémentaires dans le moteur déjà enrayé de leur adversaire.

Vraiment, je pensais avoir trouvé le bon moyen d'échapper à la crise en investissant dans l'écriture: il faut avouer que, jusque=là, j'étais plutôt content du rendement que j'en tirais puisqu'à chaque fois que j'y investissais mes économies de temps, je recevais en retour un trésor équivalent à trois=quatre fois mon capital de départ. Un petit amour de filon qu'on croirait sanctifié sous les auspices de Jésus=Christ himself en somme.

Et là qu'est=ce que j'apprends un beau matin? Que l'orthographe s'est réformée pour tendre vers plus de simplicité.

Choc de la nouveauté. Krasch des convictions.

J'ignorais que la graphie française était à ce point dépendante aux diktats de l'économie mondiale pour être atteinte par la crise et ainsi faciliter son accès à un plus large public. Dans l'espoir de plus larges bénéfices, Noam? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, la mise en place imminente de cette nouvelle vision de l'écriture de notre idiome donne lieu à des réactions épiques. Cela n'est guère étonnant en soi puisque l'homme a toujours eu tendance à traduire en épopées sanglantes les grands moments de son histoire : tu l'imagines toi , une espèce de chanson de geste appelée «la Chanson de l'Orthographe Révolutionnée» ?

"Ils étaient deux camps stratégiquement stationnés
Sur deux versants opposés de la grammaire
Un coup de tonnerre lança leur inimitié
Un affrontement entre gens normaux et habits verts

La langue décline disaient ces porteurs d'épées
Qui pleuraient la perte des hauts=de=formes
sur les adjectifs de leur noblesse
La disparition des accents pompeux de leur norme
Et des nombreuses fusions de mots qui furent réformés
Les emplissait d'une profonde tristesse

Que vive cette réforme bénie et acceptée
Clamaient cette bande hétéroclite de rebelles
Que l'écriture facile soit définitivement consacrée
Qu'elle brille, que la nouveauté soit plus belle
Ils y croyaient dur comme les paroles d'une messe
Et justifiaient leur attitude où se consumait une brûlante hardiesse

Deux factions placées sur un plateau triangulaire
Un noyau de gérontes vertement offusqués
Face à un peuple, on ne peut plus déterminé
Une relation d'attente les sépare du début de la guerre."

Bref, comme tu le vois, il y aurait matière à faire pleurer des légions de princesses accoudées à leur Prie=Dieu!

J'ai le cafard , Noam, avec tout ce bazar . Il y a une nouvelle querelle entre Anciens et Modernes et je suis tiraillé; D'un côté, j'appartiens résolument aux Anciens mais mon métier m'oblige à soutenir les partisans du changement . Odi et Amo et Ecrucrior , en somme.

Les vieux chnoques de la Coupole ont fait une crise cardiaque à l'annonce de cette révolution mais je vois qu'une partie du peuple s'est approprié leurs compétences et se mettent à prêcher la bonne performance en habit vert tandis que leurs adversaires tentent de leur couper l'herbe sous le pied et empêchent les indécis d'aller voir si c'est plus vert ailleurs à coups de dogmes gorgés de napalm.

On a pas fini d'en parler de cette réforme...

D'ici là, porte=toi bien , mon petit Noam.

Ton Ami.

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