Mendicité

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Chaque jour , c’était la même routine, le même rituel . On montait les escaliers qui roulaient sous les pas. On avait le soleil qui éblouissait les yeux. On posait les affaires, les fesses à terre puis on regardait autour de nous. En tendant la main. Pour les autres. On voyait toujours les mêmes gens passer devant nous. Tous les jours. Dans des habits différents. Avec des mines différentes. On les voyait rayonnant le matin et ombrageux le soir. Parfois ils passaient rapidement de l’un à l’autre. Derechef. C’étaient des évènements climatiques que la météo ne pouvait pas prévoir. Le ciel. On aurait bien voulu apprendre à distinguer ses humeurs, aux nuages, aussi bien qu’on le faisait avec les gens. Mais beaucoup de personnes qui nous ont parlé, nous ont dit que c’était impossible. C’est dommage. On aurait bien voulu l’apprendre. Pour éviter d’être mouillé par les départs en trombe des pleurs des cumulus.


Chaque jour , c’était donc le même rituel. On s’amusait à inventer les vies des gens qui évoluaient sans nous regarder. On voyait une ride, on se disait : souci ! , on voyait un cheveu gris, on se disait : il vieillit ! Parfois , les habitués marchaient avec d’autres personnes. Ils rigolaient. Parfois criaient. Rarement pleuraient. Des fois mêmes, ils hurlaient à l’oreille de leur ami le téléphone, à propos de poulet à décongeler, de paperasseries à refaire , d’actions boursières qui allaient en enfer, de devoirs à terminer. Ils commandaient avec une cuillère en acier , des bics qui fendaient l’air , des attachés-cases qui se balançaient d’avant en arrière ou avec dans les bras , un petit bébé , on ordonnait à Julien , Alfred, Robert , Kévin de s’activer. On voyait des gens qui envisageaient leur destinée comme une stratégie militaire. Une grande. Avec toutes sortes de pions pour vivre le mieux sur Terre. Sans tomber dans les tranchées de la monotonie.


Quelquefois cependant, sur ces grands champs de bataille personnels, il arrivait qu’une bombe explose, qu’un évènement inattendu survienne, largué par quelque ange du ciel qui passait en vrombissant. Alors les couleurs disparaissaient. On voyait des visages en noir et blanc. Alors le sol tremblait. Les membres s’entrechoquant. Alors les volcans des sentiments éructaient. Déversant des laves d’eau salée, d’ire , de bruits. Parfois , elles étaient séparées. Parfois mélangées. Parfois , elles menaient à l’évanouissement. Tout cela nous rappelle l’histoire de cette fille qu’un petit message sur un écran illuminé avait brisée. Quelques mots l’avaient faillir. Les termes qui l’avaient abattue, on les avait vus. Inscrits sur l’appareil qui, sur le pavé, avait chu. C’était une rupture. On voulait l’aider. On aurait pu. On avait la main tendue. Mais on n’avait pas pu. On devait penser d’abord à notre survie. Á assurer notre subsistance. Et si l’occasion s’était présentée, on n’aurait pas pu la veiller, en attendant l’ambulance. Dans ce monde , on n’a pas d’existence. On n’est juste qu’une présence. Transparente. Que personne ne ressent. Que personne n’entend . Que personne ne comprend. On essaie juste d’obtenir de quoi créer une goutte d’essence. Pour souffrir. En Silence.


J’écris comme les gens me perçoivent. Impersonnel. Diaphane. Pas vivant. Un objet de décorum battu par les vents. Et Dieu seul sait à quel point ils sont violents en sortant de cette bouche de métro. Avec mon poncho rose sur le dos. Je ne bouge pas. Je suis statue. Qui attend de quoi survivre, ou un petit mot de bienvenue. Immobile. Personne ne me voit. Pourtant je comprends leurs peines, je comprends leurs joies. Je peux les aider quand cela ne va pas . Mais comment faire quand on n’existe pas ? J’ai pourtant la main levée. Je n’aspire qu’à cela . Juste une petite pièce. Pour m’aider à franchir le pas.

Leitmotiv.

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Comment devient-on écrivain?
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« Il faut tout d’abord écrire , naturellement. Ensuite, il faut continuer à écrire , même si cela n’intéresse personne . Même quand on a l’impression que cela n’intéressera jamais personne . Même quand les manuscrits s’accumulent dans les tiroirs et qu’on les oublie, tout en écrivant d’autres. »
[…]
« Voici la réponse à la question : on devient écrivain en écrivant avec patience et obstination , sans jamais perdre foi en ce que l’on écrit. »
Agota Kristof - l'Analphabète.

[PM] Prendre de la bouteille.

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Un jour, j’ai compris que certaines assurances
N’étaient pas à vendre, même au prix les plus fous.
Et que des billets chiffrés de zéros doux
Ne pouvaient pas tout avoir, même par l’esclandre
Les financiers qui tiennent les cordons de la vie
Délivrent des saluts à coups d’indulgences
Mais ils n’ont aucune protection à offrir
Lorsque l’on demande, pour affronter le monde,
Un peu de prestance. Ils n’ont rien ces larrons,
Rien d’autre à donner qu’une bouteille à prendre

On m’a balancé la mienne. Elle était vide .
Jalousait les autres qui gambadaient emplies
Et moi qui ne savait vraiment plus quoi en faire
Dans une sombre colère, je l’ai jetée en mer
Une bouteille à la mer ! Mais personne pour la sauver
Les vagues l’ont ébréchée . Je me suis abimé
Flasque, je l’ai rejointe sur un lit d’écume
Pour qu’elle se remplisse. J’ai longtemps attendu
Moi qui pétillait d’envie de remonter le moment venu
Dans un sublime éclat , à la surface.

Cet instant arriva , s’écoula puis passa
On est arrivé sur terre, près d’un goulot
Bouchonné de toute part, histoire d’avoir chaud
Et j’étais sans assurance malgré cela
Paraissant orgueilleusement emplie à l’extérieur
Mais pourtant si fragile à l’intérieur
Petite bouteille qui contient ce que je suis
Sans cesse oscillante et jamais en l’équilibre
Elle pourrait se briser en morceaux
Si facilement. Il suffirait d’un mot.
Comme ce nom de baptême gravé sur ce bateau
Chercher à ce que le paraitre ne cache pas l’être
Pour que le rempli ne noie pas le vide
Une envie aussi solide qu’une ancre en eau
Et une bouteille prise et lancée en une action
Eclate sur la proue en signe d’onction
Des gouttes dorées qui pleuvent sans pareille
Un adoubement de Don pour affronter le monde
Ne pas être ou être , la réponse est la seconde
Est-ce que tout ça, ne vaudrait pas une bouteille ?
 
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