Les Saveurs du palais


Pour qualifier l’impression qu’a produite sur nous ce long-métrage, osons adapter quelques expression archi-connues  à notre sauce : « le plat ne fait pas le moine », « tant va  le met à la cuisson, qu’à la fin, il brûle » ou encore « il faut se méfier d’Hortense »… 

Ces trois détournements résument à notre sens les principales défauts de la réalisation de Christophe Vincent : un pitch excellent qui, après avoir donné l’eau à la bouche aux spectateurs, finit par y tomber (à l’eau) ; une orientation narrative voulue et rythmée par un faux suspense dont la chute, longuement attendue, déçoit ; enfin, un personnage principal dont la biographie bancale surprend avant de laisser dubitatif.

Pourtant, et c’est peut-être cet aspect qu’il faudrait le plus regretter,  le synopsis de la production possédait en son sein pléthore d’excellents ingrédients qui, correctement exploités, auraient été à même de rassasier les yeux du public le plus ventru (ou exigeant, c’est selon).  Et le soufflé inoubliable qu’on était en droit d’attendre de rester désespérément plat au moment où les lumières réapparaissent dans la salle.

Le film touchait en effet à un fantasme, au saint des saints : le palais de l’Élysée et son quotidien. Qui donc ne s’est jamais demandé comment la vie s’organisait en ce lieu chargé d’histoire, et in extenso, comment le président français évoluait jour après jour dans ces murs ?  Ces questions trouvent des éléments de réponse dans le long-métrage qui, bien loin de se muer en un documentaire lambda qu’il n’est pas, puise son originalité dans un angle d’attaque particulièrement à la mode : la cuisine. Et d’emblée, on devine cette dernière faramineuse, compte tenu du rang du propriétaire des lieux.

Il est vrai que tant d’un point de vue technique que spatial, les fourneaux présidentiels s’avèrent tout simplement impressionnants avec leur organisation en double partie : on a ainsi d’un côté le service dédié au palais lui-même, temple gastronomique où technique et démonstratif  sont les maître-mots. De l’autre, la cuisine personnelle du Président de la République, où Hortense (Catherine Frot) professe seule en compagnie d’un commis acquis à sa cause, un territoire où la nostalgie des recettes d’antan et les produits du terroir font figure de lois immuables pour les vénérables casseroles de cuivre. Cette opposition, qui débouchera sur une rivalité profonde, n’est cependant pas la seule du long-métrage.

En effet, la narration du destin de l’héroïne est évoquée non pas de manière linéaire mais dichotomique, l’intrigue oscillant de fait entre deux tableaux tout au long du film, l’un étant centré d’une part sur le vécu d’Hortense à l’Elysée et l’autre sur son existence après cette expérience, alors qu’elle s’apprête à quitter son emploi de cantinière dans une base française de l’Arctique. La justification de ce constant va-et-vient tient en une seule interrogation chargée de tenir l’auditoire en haleine : quelles sont les raisons qui l’ont poussé à abandonner le premier travail au profit du second ?

Et c’est une fois que cette question est posée que l’ensemble de la recette commence à sentir le roussi.
Premièrement, à cause de la nature-même du film qui, hormis de manière sporadique, refuse toute forme d’action réellement palpitante. Son déroulement se fait ainsi de manière narrative pour ne pas dire contemplative : on assiste simplement à une tranche de vie dans toute sa banalité et sa fascination. Quels que soient les gourmets, on ne verra Hortense que courir, conduire, sélectionner ses produits et cuisiner. Rien de plus. Au final, cette dimension narrative (dé)tonne et peine à véritablement convaincre car mal amenée et mal construite.

Deuxièmement, à cause de l’orientation très franco-française donnée à l’ensemble : on célèbre la qualité des aliments la France et un art culinaire que l’on regrette d’avoir perdu. Ce parti-pris, s’il n’est pas dérangeant en soi et peut même faire s’esquisser des sourires (notamment à travers la prose poétique des livres de recettes du siècle dernier), devient néanmoins agaçant à force d’être martelé sans cesse. Il touche même au ridicule dans les répliques de Jean d’Ormesson (vieil académicien vénérable propulsé présidentiable par la magie du septième art) dont la diction forcée et chevrotante, garante d’une langue française des plus parfaites, ne donne pas envie de rêver de cet âge d’or révolu mais plutôt de le chasser à grands coups de balai.          

Cette célébration du passé, déjà sérieusement décrédibilisée, s’apparente à un naufrage complet lorsque l’on découvre les motivations du départ d’Hortense : un changement radical à la tête de la hiérarchie de l’Élysée …et la mise à la diète du Président ! Trop chère et trop grasse, la cuisine traditionnelle du personnage principal ne peut s’adapter aux prescriptions sévères des médecins et du comptable. Et Catherine Frot, droite dans ses talons, de quitter ce palais où ses saveurs ne peuvent plus s’exprimer librement pour d’autres cieux. Et le long-métrage de prendre les allures de cet éternel cliché qui oppose la méchante société industrialisée à la pureté de la tradition d’antan. Sans finesse, ni assaisonnement.  Dans cette optique, doit-on réellement s’étonner de l’exil de l’héroïne en Antarctique, une terre vierge et pure où l’introduction de tout élément moderne est vouée à l’échec (cf. l’équipe de télévision) ?

Tous ces défauts – petits ou gros, objectifs ou personnels – nous empêchent de goûter à ce film qui s’apparente davantage à un cheveu dans la soupe qu’à une madeleine de Proust comme on aimerait nous le faire croire. De surcroît, de nombreuses scènes inutiles (comme l’ignoble parodie en fin de long-métrage envers lequel nous crions un immense « pourquoi ? ») rendent l’ensemble encore un peu plus indigeste jusqu’à éclipser la performance honnête de Catherine Frot elle-même. Et nous de conclure finalement que l’intérêt des Saveurs du Palais réside peut-être dans son jeu de mots et dans ce qui n’aurait dû être, à savoir son aspect documentaire. Car en sortant de la salle obscure, on constate que l’on a beaucoup appris niveau lexique culinaire et alimentaire, notamment grâce à une photographie sublime et réellement didactique.

A tel point que pour certains spectateurs, le mérite du film résidait dans sa capacité à ouvrir efficacement l’appétit.    

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