Le Jardin des Finzi-Contini est un roman autobiographique de l’écrivain italien d’origine juive Giorgio Bassani, publié en 1962. Considérée par beaucoup comme la pièce la plus aboutie de son cycle du Roman de Ferrare, cette œuvre se présente comme un hommage à Micòl Finzi-Contini, un amour de jeunesse de l’auteur, qui n’a malheureusement jamais abouti.
Cette dernière est la fille d’Ermanno Finzi-Contini, un scientifique calme et lunatique, patriarche de la famille juive la plus riche de Ferrare, vivant la plupart du temps retranchée dans son immense propriété baptisée Magna Domus.
La trame du Jardin des Finzi-Contini peut être divisée en 3 parties, chacune d’entre-elles s’accompagnant d’une ellipse temporelle plus au moins longue et marquant une étape supplémentaire dans les états d’âme des deux personnages majeurs du récit.
Au moment où s’ouvre la première qui met en place le cadre et les artisans des péripéties à venir, Giorgio Bassani est un jeune étudiant originaire d’une famille juive aisée, passionné de littérature et de tennis, qui s’apprête à passer ses ultimes examens en vue d’obtenir le diplôme qui lui ouvrira les portes de la Faculté de Lettres de Bologne. C’est le jour de l’annonce des résultats de ceux-ci, lors d’un de ces seuls moments où les enfants Finzi-Contini se mêlent à la vie publique, qu’il rencontre et fait plus ample connaissance avec Micòl. Après une courte escapade, les deux protagonistes principaux sont finalement rattrapés par leurs devoirs respectifs. Mais un lien – aussi ténu soit-il – s’est tissé entre-eux, lien qui va constituer le fil conducteur du récit.
La deuxième partie débute lorsqu’ils se revoient 10 ans plus tard et constatent que les choses ont bien changé : des lois raciales discriminant les Juifs ont été mises en place en Italie : leurs conséquences immédiates sont l’exclusion du club de tennis local de toute la jeunesse juive de Ferrare.
Heureusement à l’instigation de Micòl, celle-ci trouve néanmoins refuge dans le jardin des Finzi-Contini où se joueront désormais des parties endiablées sur leur court privé. C’est l’occasion pour le narrateur et la fille Finzi-Contini de se fréquenter de plus en plus et le mano à mano entre les deux jeunes adultes de commencer. Car si Bassani se rend bien vite compte des sentiments puissants qu’il conçoit pour elle, Micól adopte vis-à-vis de celui-ci une attitude ambigüe : elle semble chaque jour de plus en plus proche de l’auteur mais en même temps tellement inaccessible lorsque les choses semblent un peu s’accélérer. Elle est à la fois une promesse et une prémisse de la désillusion amoureuse qui surviendra bientôt pour l’écrivain. Et ce dernier, aveuglé par sa passion, se mue bien vite en un Tantale soumis, passant constamment du paradis à l’enfer, au gré de la condescendance du bourreau de son cœur.
Paradoxalement à cette fin’amor tumultueuse, il arrive néanmoins à se faire accepter dans le cercle très restreint des amis intimes de cette puissante famille dont la maisonnée va s’avérer être le moteur d’une triple initiation pour lui : d’une part amoureuse, puisque la conquête de Micòl reste toujours son obsession et qu’il compte bien utiliser son nouveau statut pour parvenir à ses fins, d’autre part intellectuelle, puisque c’est grâce au savoir du professeur Ermanno et aux ressources de son immense bibliothèque privée qu’il arrive à étayer et conclure la thèse sur laquelle il travaille et ainsi espérer pouvoir construire son avenir mais également humaine, puisqu’au travers des conversations politico-philosophiques qu’il a avec Alberto (le frère de Micòl) et son ami communiste Malnate, il s’affirme en tant qu’homme avec un caractère, une sensibilité et des convictions qu’il défend bec et ongle.
Seule la première de ces trois voies le mènera vers un échec cuisant puisque Micòl, après lui avoir prodigué espoir sur espoir, finit par repousser ses avances, l’abandonnant pantois et dans l’incompréhension la plus totale.
L’histoire aurait pu en rester là, mais l’auteur tient à en raconter la suite en mettant désormais l’accent sur le mal-être qui l’habite à cet instant de l’intrigue. On assiste ici à la deuxième rupture profonde dans la trame de l’ouvrage et à l’ouverture de la troisième et dernière partie du roman : malgré sa tentative avortée, le narrateur-auteur souhaite néanmoins conserver l’amitié de celle qui est devenu un pilier de sa vie malgré l’amour qu’il éprouve encore pour elle. Commence alors pour lui le long chemin de croix de l’amoureux qui n’obtiendra jamais son dû : bien que sous le couvert du manteau de l’amitié, il ne parvient pas à se résigner à la différence du jugement d’acceptabilité qui le sépare de l’objet de ses rêves et toutes leurs entrevues se résument constamment en des assauts désespérés de l’écrivain contre une forteresse qui lui résistera toujours. Au grand dam de Micòl qui ne sait comment lui dire qu’il ne se passera jamais rien. Finalement, il se résout à essayer d’oublier tout en prenant rapidement conscience qu’en adoptant cette attitude, il ne fait que se mentir à lui-même :
Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, les braises continuent de couver sous la cendre : avec le magnifique résultat que, ensuite, quand deux êtres se revoient, se parler tranquillement, en bons amis, est devenu très difficile, à peu près impossible.
Cette dernière subdivision est de loin la plus intéressante car elle fait montre du splendide travail effectué par Giorgio Bassani autour de ce lieu commun de la littérature qu’est le psychisme de l’amoureux jamais récompensé de ses efforts. Sans tomber dans la caricature, il nous délivre une copie terriblement réaliste des sentiments qui animent ces personnes, de cette volonté inextinguible de continuer, d’abattre toutes les cloisons, toutes les différences, tous les obstacles pour obtenir ce que leur cœur désire de plus cher. Il n’est nullement question ici de jalousie, de possession ou de conquête éphémère. Mais juste d’un amour pur qui ne peut s’exprimer car la personne à qui il s’adresse ne veut pas l’entendre.
L’auteur utilisera l’onguent du temps pour calmer sa douleur. Et finalement oublier. Et lorsqu’il sera jeté en prison pour ses convictions anti-fascistes, il ne verra pas Micòl et toute la dynastie des Finzi-Contini monter dans le train à destination des derniers moments de leur vie, voyage dont seule la geôle l’empêchera d’en goûter les charmes macabres.
Le Jardin des Finzi-Contini fait assurément partie cette catégorie de livres dont on ne ressort pas indemne, qui nous font changer, même si c’est de manière infime. À travers cette part d’existence qu’il nous transmet, Bassani porte un jugement sans concession sur lui-même, sur la société du temps et sur la conscience humaine. Le génie de sa plume résidant dans les entrelacements complexes de ces trois strates qui sont à la fois unies et séparables. Si personnellement, j’ai été nettement plus sensible à la partie psychologique qui suit le refus de Micól, d’autres personnes apprécieront peut-être plus l’aspect historique souvent mis en évidence ou se focaliseront uniquement sur l’évolution de l’intrigue amoureuse sans se préoccuper du reste. Les lectures admises pour ce livre sont plurielles et quel que soit le chemin choisi, le récit fait mouche.
Voilà un livre dont la gratification de classique, dans l’acception méliorative (controversée) entendue par la plupart des gens aujourd’hui, n’est pas usurpée. Et pour une fois qu’elle est méritée, pourquoi se priver d’y plonger ?
Chronique publiée sur le site Communelangue , le 19-12-2009
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