La couverture de ce livre est un mensonge.
Lorsque les yeux du lecteur abordent la mention « récit autobiographique » placardée en sous-titre de l’Analphabète, ce dernier pensera avoir en mains l’histoire complète de la vie d’une écrivaine francophone par elle-même. Dans l’absolu, ce n’est pas faux. Pourtant, si le récit a pour thème principal Agota Kristof, il ne s’agit pas d’une histoire d’existence au sens premier du terme : l’ouvrage ne reprend, en effet, que de courtes chroniques rédigées par l’auteur, peu après le succès de son premier roman Le Grand Cahier (1986).
On pourra peut-être déplorer l’absence de volonté de l’écrivaine de rédiger, de plein gré, les péripéties de son passé. Et se demander par la même occasion si les fragments d’instantanés rassemblés dans ce recueil – aujourd’hui désavoué par la romancière elle-même –ont un quelconque intérêt outre celui purement commercial ?
Étonnamment, la réponse est oui.
Car au travers des onze petits chapitres qui nous sont présentés, on découvre l’essence d’Agota Kristof : une personne encore profondément meurtrie par l’exil soudain de sa patrie natale, il y a plus de 50 ans, son combat pour lutter contre le désespoir de la routine et les injustices conjugales, ses actions entreprises pour ne pas tomber dans le maelström du « No Future » qui guette tous les immigrés.
Cependant, réduire l’Analphabète à sa simple composante biographique intrinsèque serait une erreur. Car celui-ci se présente surtout le récit de l’apprentissage d’une langue, le français. Ainsi, on passe au fil des pages de la création des premiers poèmes en hongrois à la narration de son adaptation dans cette société occidentale aux antipodes de la sienne qu’est la Suisse , son seul refuge pour échapper à l’ouragan répressif communiste. Et surtout , en filigrane , à la bataille menée par un être qui bascule du jour au lendemain de la poésie à l’analphabétisme : des douloureux premiers gestes qui président à l’apprentissage du français à la consécration littéraire qui s’ensuivra.
Je sais que je n’écrirai jamais le français comme l’écrivent les écrivains français de naissance mais je l’écrirai comme je le peux , du mieux que je peux. Cette langue, je ne l’ai pas choisie. Elle m’a été imposée […] Écrire en français, j’y suis obligée. C’est un défi. Le défi d’une analphabète.
Rempli d’anecdotes drôles mais aussi profondément humaines, L’Analphabète réussit le tour de force de nous dévoiler l’essentiel de ce qu’il faut connaître sur son auteur en moins de 55 pages. Sublimé par l’écriture simpliste mais efficace, ce texte prend le parti de satisfaire les simples curieux mais également de donner à ceux qui les recherchent, quelques clés de voûte capitales de l’œuvre d’Agota Kristof.
Chronique rédigée pour le site Communelangue et publiée le 28/01/2010
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