Une fois n’est pas coutume, j’avais envie de vous parler d’un album qui me tient à cœur et qui illustre parfaitement les thèmes du voyage et de la poésie de ce numéro. Il s’agit du concept-album[1] Metropolis Part II du groupe Dream Theater, sorti en 1999. Avant toute chose, il est utile de préciser que ce dernier est le fondateur d’un courant musical appelé « métal progressif ». Celui-ci a comme principale caractéristique de privilégier une approche très technique et complexe des mélodies ainsi que de donner la part belle à l’expression de chacun des musiciens. En résulte de très longues chansons, très difficiles d’accès et souvent ponctuées de solos (moyen d’expression par excellence des artistes, vocaliste compris).
L’histoire de Metropolis II[2] est d’abord celle de Nicholas, un homme comme les autres. Il est marié, a des enfants, une maison, bref, tout semble aller pour le mieux pour lui. Sauf qu’il cache en lui un terrible secret : chaque soir, il rêve d’une jeune fille qui pleure en lui demandant de l’aide. Envahi par la curiosité et le trouble, il décide de percer ce mystère en allant consulter un hypnothérapeute. Nous sommes alors en 1999. Grâce à la méthode dite de la régression, ce dernier va révéler au héros la nature de ses vies antérieures. Nicholas va alors apprendre qu’il est la réincarnation de Julian Baynes, surnommé « The Sleeper » à cause de la malchance incroyable qu’il tire de sa vie dissolue (il est drogué et accro au jeu). Tout le contraire de son frère Edward Baynes dont l’ascension sociale rapide lui a valu le pseudonyme « The Miracle ». Entre les deux, Victoria Page, la femme de Julian et accessoirement la fille des rêves de Nicholas. Cette dernière, lassée des frasques de son mari, va le tromper avec son frère après une violente dispute conjugale. Mais Victoria finit par retourner auprès de Julian. Edward, qui a entretemps conçu une véritable passion pour celle-ci, ne supporte pas ce retournement de situation. Il finit par assassiner le couple avant de se donner lui-même la mort. Nous étions alors en 1928. Ayant découvert la vérité, Nicholas repart le cœur léger. Mais il n’atteindra jamais le seuil de sa maison : l’hypnothérapeute – dont on apprendra qu’il en fait la réincarnation d’Edward- l’y attend et l’assassine à coup de pistolet avant de suicider par le même geste qu’il avait effectué 71 ans plus tôt.
Pour narrer cette histoire complexe, le groupe propose une bande son qui, si elle est bien évidemment nantie des caractéristiques sonores que nous avons évoquées plus haut, se révèle très versatile. Il ne faut, en effet, pas tomber dans ce cliché qui consiste à présenter le métal comme une musique violente et hurlée. Car il n’y a rien de tout cela chez Dream Theater. Ainsi, réduire la mélodie de Metropolis II à la lourdeur du son utilisé et à la présence de double pédale serait occulter ce tour de force qui est celui de faire côtoyer des chansons à dominante blues (Through My Words) avec d’autres d’obédience plus jazz (Through Her Eyes), métal (Beyond This Life) ou soul (The Spirit Carries On), le tout en un ensemble parfaitement uni. Cette fusion de plusieurs genres et la variété d’harmonies et d’ambiances qui en résulte n’est pas anodine : elle sert la volonté du groupe de proposer un voyage uniquement auditif au public, un parcours où ce dernier occupera une place active car il devra tout décoder, décortiquer, déceler de la subtilité de chaque note jouée à chaque mot chanté et ce, afin de comprendre les tenants et les aboutissants du récit mis en musique.
Car les musiciens ne proposent pas une histoire racontée de manière linéaire. De nombreux allers-retours sont effectués entre les séances d’hypnose de 1999 et les évènements tragiques de 1928. Le seul moyen pour l’auditeur de les percevoir (et ainsi de comprendre l’œuvre !) est de tendre l’oreille aux paroles[3], aux différents thèmes et motifs musicaux qui se répètent ainsi qu’aux différents sons ajoutés dans la trame musicale et qui sont autant de balises pour l’auditeur (coups de feu pour l’assassinat, cris d’orgasme féminin[4] pour symboliser l’adultère ou encore extrait de radios annonçant la mort de Kennedy Jr. pour avertir l’auditeur que nous sommes en 1999, …).
Au final, cet album s’avère être une montagne. Complexe, surprenant et fascinant, il invite l’auditeur dans un thriller musical difficile mais haletant. Privé de tous les indices, le récepteur ne pourra se fier qu’à l’instinct de son oreille pour dénouer le mystère qui entoure Nicholas. Un personnage vecteur d’une musique tortueuse et de paroles d’une rare puissance poétique qui constitue à lui tout seul une invitation au voyage.
[1] Le concept-album est un album dont la musique et les paroles sont composées de manière à raconter une histoire (exemples canoniques : Tommy des Whos ou encore The Wall de Pink Floyd)
[2] Metropolis I est le nom d’une chanson qui a servi de base au concept et qui se trouve sur le deuxième album du groupe, Images & Words (1992).
[3] Qui ne sont pas présentes dans le livret qui accompagne le CD. Cette absence renforce le sentiment d’immersion force l’auditeur à essayer de comprendre les paroles ou à défaut d’apprécier leur musicalité.
[4] Je précise à ceux qui me connaissent bien que ce n’est pas à cause de ça que j’adore cet album ^^
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