Au XIIè
siècle, le philosophe Bernard de Chartres prononçait cette maxime aujourd’hui
devenue proverbiale : « Nous sommes des nains juchés sur les épaules
de géants. » Le brave homme entendait par là qu’il était loin d’être
honteux, pour ne pas dire nécessaire, de s’appuyer sur des sources antérieures
pour développer ses propres conceptions.
Cette expression est à garder en mémoire au moment
d’aborder Dardéa, le premier tome de
la série Thomas Passe-Mondes. En
effet si, au premier abord, l’œuvre semble nettement influencée par son
illustre ainé qu’est Harry Potter, il ne faudrait cependant
pas en conclure que l’ouvrage est un ersatz ou manque cruellement d’originalité.
D’une part, parce que l’impact du cycle de J.K. Rowling a été tel dans
l’univers de la littérature jeunesse fantastique qu’il semble difficile pour
les auteurs de ne pas être influencés par cette référence au moment d’écrire
pour ce type de public. D’autre part, parce que l’auteur lui-même assume cette
parenté dès les premières pages du livre.
Il
est cependant vrai que le héros de
l’aventure, Thomas Passelande, partage bien plus qu’une admiration envers le
célèbre sorcier à lunettes : tout comme son illustre aîné, le jeune homme
est orphelin, maltraité par ses congénères en classe et est victime de
phénomènes étranges qu’il ne peut lui-même expliquer. Ses seuls alliés sont sa
grand-mère Honorine et son meilleur ami Pierric. Son existence aurait pu rester
dans cette triste banalité mais la découverte d’un monde parallèle va
bouleverser ses repères et l’emmener dans une quête épique. En outre, les
lecteurs les plus avisés reconnaitront çà et là quelques péripéties familières
mais réinventées sous la plume d’Éric Tasset.
Ces
similitudes font-elles de Dardéa, un
ouvrage à déconseiller pour les lecteurs/rices qu’il vise ? Certainement
pas. Car le texte possède suffisamment de qualités personnelles pour être
dévoré par ces derniers.
Car Thomas
Passe-Mondes, c’est d’abord un style nerveux, efficace et qui va droit au
but. Il n’y a pas d’envolée descriptive dont la longueur arrêterait l’histoire
et casserait la tension engendrée. Ce qui ne veut pas dire que l’auteur n’y a
pas recours mais seulement qu’il utilise ce procédé de manière parcimonieuse,
donnant juste assez d’éléments pour
faire fonctionner l’imagination sans que cela se fasse au détriment du
déroulement de l’action. On notera également les nombreuses références faites à
notre quotidien tout au long du récit et qui contribue à donner au lecteur
l’impression de participer aux péripéties.
Cette
appartenance est magnifiée par des personnages aussi divers qu’attachants. Surtout Thomas, le héros, qui prend de plus en plus
d’épaisseur et de maturité au fil des pages mais sans oublier ce qu’il est vraiment, à savoir
un adolescent comme tout le monde. On le voit ainsi tantôt rageur face au
manque de confiance qu’on lui témoigne, tantôt naïf et maladroit dans le
comportement qu’il adopte vis-à-vis d’Ela Daeron, une jeune fille qui sera son
guide au sein du monde parallèle d’Anaclasis et source de bien des ennuis pour
lui. Il est également doté de réflexions humoristiques qui font
systématiquement mouche et qui apportent au récit une légèreté rassurante, même
dans les moments les plus critiques.
Mais
c’est dans l’imaginaire de l’auteur que réside véritablement l’intérêt de ce premier tome. Celui offre en
effet un univers d’une richesse rare pour une première visite et qui laisse de
multiples possibilités pour les récits ultérieurs que ce soit au niveau du
concept – très bien amené – de dédoublement des mondes (Anaclasis possédant la
même géographie que l’Europe), du pouvoir des Passe-Mondes (bien que les autres
disciplines ne manquent pas d’intérêt) qui permet de visiter une grande variété
de lieux sensationnels ou encore des Animavilles, ces cités vivantes (dont
Dardéa fait partie) qui modifient leur organisation en fonction des besoins des
habitants et sous le couvert de certaines règles (pas de consommation de
viande, pas de feu, pas d’armes)
Quant
à l’intrigue en elle-même, elle prend les traits d’une enquête cherchant à
découvrir l’instigateur d’étranges phénomènes survenus au sein du monde
parallèle et dont Thomas semble être la cible.
Passionnante et dotée de rebondissements multiples, elle se double
d’évènements sérieux tels que des rapts, des attaques surprises et même le
début d’un conflit à l’échelle mondiale, preuve que si le livre est destiné à
un lectorat plutôt jeune, cela ne l’empêche pas de le prendre au sérieux en lui
proposant des aventures convaincantes.
Tous
ces éléments font bien vite disparaitre le substrat pottérien lancinant des
premières pages au profit d’un (double) environnement foisonnant, bourré
d’idées bien senties et d’une intrigue qui met en valeur à la fois ses
caractéristiques mais aussi les qualités des personnages qui y évoluent. Comme
si au fil de la rédaction de Dardéa,
Eric Tasset avait pris petit à petit confiance en lui pour mener à bien son
projet.
Et
le nain Thomas Passe-Mondes de
montrer sa volonté de grandir pour devenir l’un de ces géants sur lequel il
s’est brièvement juché. Donnez-lui sa
chance que ce soit en version papier ou au format numérique. Il
en vaut réellement la peine.
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