Du 20/09 au 20/10 au Théâtre Royal du Parc, rue de la Loi, 3 1000 Bruxelles
De: Victor Hugo
Avec : Olivier Massart, Benoît Verhaert, Stéphane Fenocchi, Perrine Delers, Tessa Dujardin, Sarah Delforge, Violette Pallaro, AntojO, Fabien Magry …
Mise en scène : Thierry Debroux
Dans le petit monde des
lettres, les anniversaires d’œuvres célèbres sont souvent prétextes à une
abondante production d’hommages : littérature critique, nouvelles éditions de
texte avec une couverture spécialement élaborée pour l’occasion, adaptations
diverses et variées : toutes les formes disponibles semblent adéquates pour rappeler au public l’importance du texte
commémoré. À l’aube de souffler leur 150è bougie, les Misérables ne paraissent pas déroger
à cette règle puisqu’Hollywood s’est à
nouveau emparé de leur histoire pour en
faire un (énième) long-métrage auquel on espère une heureuse réception. Et
puis, il y a cette version dramatique proposée par le Théâtre Royal du Parc en
guise d’ouverture de sa saison.
Il suffit parfois d’un
rien pour éprouver l’envie subite de goûter au spectacle sur tréteaux. De la
curiosité par exemple : est-il réellement possible de transposer en
répliques et en didascalies un récit dont le volume est presqu’aussi proverbial
que celui de La Recherche du Temps Perdu d’un
certain Marcel P.? Un tel exercice ne s’avère pas en effet exempt de tout
risque, d’autant plus que le piège de la dénaturalisation guette à chaque coupe
opérée au sein de l’intrigue. Et la sagesse littéraire d’enfoncer le clou en
proclamant son célèbre anathème : « traduire, c’est trahir ».Et
nous de nous demander : cette traduction théâtrale du chef d’œuvre
hugolien mérite-t-elle les baisers de Judas ou les vivas de la foule ?
Deux heures vingt et
quatre rappels plus tard, nous avons la réponse à notre question et un seul mot
en bouche pour qualifier cette représentation : magistrale.
Magistrale aussi bien
par le décor et que la machinerie. Alors qu’on aurait pu craindre une mise en
scène aussi classique que le roman duquel la pièce est tirée, le public se
trouve confronté dès le lever du rideau à une structure à étages qui étonne.
Aux nombre de trois, ces derniers-traversés par un escalier qui les relie -
comportent chacun trois pièces ainsi que des fenêtres de toile susceptibles
d’être ouvertes à tout moment. Surprenante, cette structure quasi-alvéolaire ne
cesse de démontrer sa polyvalence tout
au long de la pièce : café, atelier, bordel, tribunal, hôpital sont
quelques-uns des multiples lieux qu’elle matérialise avec une crédibilité sans
pareil. L’illusion des réels dés lors opère
et est même magnifiée par quelques « effets spéciaux » impressionnants
comme la table sur rails, la neige qui tombe du haut de la scène pour symboliser
l’hiver ou encore l’eau qui s’éclabousse au rythme de la progression pénible de
Jean Valjean dans les égouts. Enfin, la présence d’un écran situé au-dessus des
acteurs joue également un rôle capital puisqu’il permet à travers les images
projetées de susciter un paysage, une atmosphère ou mettre en exergue les
émotions ressenties par un personnage.
Magistrale car portée
par des acteurs qui incarnent avec brio leurs rôles : mais si tous sont
excellents, trois sortent cependant du lot : Olivier Massart personnifie
en chair et en os ce protagoniste tout en nuances qu’est Jean Valjean, le
rendant encore plus humain et émouvant que son homologue de papier. Stéphane
Fenocchi joue un Thénardier assoiffé d’argent
dont le langage très fleuri ainsi que les combines ridicules apportent au
spectacle un souffle comique bienvenu au vu de la thématique pessimiste de
celui-ci. Quant au rôle de Javert, il est incarné par un Benoît Verhaert d’une rigidité et d’un charisme naturel qui
confèrent à l’inspecteur aux gants verts la terreur nécessaire pour
impressionner durablement l’assistance.
Magistrale dans le
travail de réécriture opéré par le metteur en scène Thierry Debroux. Car si la
tâche était ardue, le défi a été magnifiquement relevé : la trame est
limpide et parfaitement calibrée dans le temps. De plus, aucune des scènes
essentielles du texte originel ne manque à l’appel et les différentes ellipses
qui ponctuent ces dernières s’enchaînent en douceur : l’intrigue ne
connait ainsi aucune transition brusque, que du contraire, elle se révèle d’une
fluidité parfaite qui font passer les deux heures vingt de performance comme
une lettre à la poste. On saluera également l’esthétique audacieuse de la pièce
qui multiplie les anachronismes sans que ceux-ci paraissent anormaux au
spectateur: on ne s’étonne jamais que l’on parle de téléphone, qu’un figurant
hurle en regardant un match de foot à la télévision ou qu’une machine à laver
serve de composante à la barricade la rue alors que l’action se déroule au XIXè
siècle. Tout s’intègre parfaitement, une harmonie qui donne à la pièce un
aspect moderne qui l’empêche de tomber dans l’écueil du classicisme évoqué plus
haut et aide le public à mieux apprécier l’histoire grâce à la présence de
référents qu’il connaît.
Au final, si l’habit ne
fait pas le moine, il est certain dans ce cas-ci que le titre ne fait pas la
pièce. Portée par une mise en scène originale et des acteurs inoubliables,
celle-ci condense au sein de sa trame tous les ingrédients qui ont permis au
texte de passer à la postérité et de devenir un classique du genre. En outre,
elle constitue, grâce à son esthétique moderne, une porte d’entrée intéressante
vers le texte et un moyen concret de lutter contre cette tendance qui veut que
tout le monde sache ce que sont Les
Misérables, sans jamais l’avoir lu, à l’instar … des œuvres d’un certain
Marcel.