J’ai toujours aimé les fins de journée.
Et plus spécialement, ce moment particulier où après avoir déposé mon bic,
fermé mes livres et entassé le tout dans un coin déjà fort encombré de mon
bureau, je pouvais, sans remords, m’abandonner à des loisirs bien mérités.
Pourtant, ce soir-là, point de séries ou
de football à regarder, point de roman imaginaire à dévorer, point de séance de
clavardage inattendue jusqu’à l’aube, rien ne m’attirait, hormis peut-être l’écoute
d’un peu de musique. Mais que choisir ? L’ensemble de ma discothèque, quoique
qu’assez récente au demeurant, me semblait usée jusqu’à la corde : la
faute sans doute à un trop grand nombre d’écoutes. Finalement, après maintes
tergiversations, je tombai sur une vieille compilation dont j’avais oublié l’existence.
Le CD, gravé alors qu’Internet balbutiait à peine, ne contenait qu’une seule
piste. C’est tout du moins ce que m’affirmait ma microchaine en avalant ce
vestige d’adolescence tumultueuse. Les premières notes s’égrènèrent. Bien que
je sois couché sur mon lit, les yeux fixés sur le soir en train de tomber, j’eus
la sensation de vivre un flash-back tout en restant dans le temps présent. S’il
faisait nuit dehors, c’était l’été dans ma tête, le souvenir d’une chaleur
particulière, de longues marches sur un gravier suisse, entouré de quatre copains
et d’autant de sacs à dos. Tout me revint en tête : mes kilos en trop qui
m’empêchaient de marcher aussi vite que mes amis, la fraicheur de ma sueur qui
contrastait avec le cuisant de mes coups de soleil, les siestes en haut des
sommets qu’on atteignait, la débilité de nos discussions et surtout notre
insouciance : on ne doutait de rien et nous étions heureux. Je l’étais
tout autant que ce soit conjugué au passé ou au présent.
La chanson sembla durer des
heures. Or, elle ne faisait que trois minutes trente. Animé par la volonté de
me remémorer à nouveau, je la relançai mais elle eut moins de prégnance sur ma
mémoire. La troisième tentative encore moins. La quatrième, quant à elle,
échoua tout-à-fait. Après quelques
instants de réflexion, je me dis qu’il me faudrait redécouvrir cette mélodie
après un laps de temps d’oubli équivalent pour éprouver les mêmes sentiments.
Ou était-ce autre chose en fin de compte ? Je ne le sais. Mais lorsque je
relevai la tête après cette conclusion, une chose était certaine en tous cas :
il faisait nuit, au-dehors.